- "Hey, réveille-toi 'spèce d'vieille écorce moisie !" - hurlait Tholot, appelé également "l'Acien" par ses coéquipiers, à l'énorme Homme Arbre affalé de tout son long à la terrasse de l'Auberge de la Carpe Rouge, à laquelle l'équipe halfling du Real Mootland avait pris ses quartiers il y a de ça deux jours.
Voir cette miniature d'humain poilue frapper de toutes ses forces le bout d'arbre vivant - qui visiblement n'avait rien à faire des coups portés par les petites mimines de l'halfling - soulevait l'hilarité de la salle entière, quelque peu bondée ces derniers jours, en raison de la finale du championnat local de Blood Bowl, remportée la veille par l'équipe Norsque de la Panzer Divison.
- "Laisse-le l'Ancien, c'te branche pourrie d'Grisfrêne s'est encore soulée à la résine d'bouleau, va t'y dormir la journée entière pour sûr !" - rétorqua Afka Finroseau en tirant Tholot par la manche de sa chemise - "on a pas q'ça à faire j'te rappelle"
Et il est vrai que l'équipe du Real Mootland avait dernièrement d'autres chats à fouetter. En effet, après avoir remporté trois fois de suite le championnat de Blood Bowl du Mootland contre d'autres teams halfling, le Real a décidé de se mesurer aux "vraies" équipes de ce sport si populaire et choisit de participer aux qualifications de la Chaos Cup qui se déroulaient dernièrement à Altdorf. Bien évidemment, ayant lamentablement échoué après trois défaites magistrales, le Real Mootland ne s'en est pas tiré tout à fait indemne.
La moitié de l'équipe a été envoyée soit à l'infirmerie, soit au cimetière, soit, pire, est rentrée à la maison avec quelques cocards et quelques dents en moins (mais avec la honte en plus). Ceux qui sont restés ne s'en sortaient pas intacts non plus. Tous portaient des stigmates de leurs dernières rencontres avec des adversaires plus grands (et plus forts bien évidemment) - maillots déchirés, cicatrices, plâtres, bandages divers et plaies ouvertes, tel était leur accoutrement actuel. Par-dessus tout, l'équipe avait perdue son entraineur, le célèbre cuistot halfeling Zabou Lhydromel, qui lors d'un match, a malencontreusement terminé au fond de l'estomac du troll qui s'était rapproché trop près du banc de touche du Real.
Et il ne leur restait plus grand chose des émoluments reçus pour la participation aux qualifications de la Chaos Cup.
Pour ainsi dire, l'équipe se retrouvait dans de sales draps.
- "'tain, bougez vous les miches les gars ! le draft pour la nouvelle saison va bientôt commencer et c'est à l'aut' bout d'la ville ! » - un halfling quelque peu grassouillet (dans les critères du Mootland en tout cas - nous, on aurait dit "gros comme une baleine") sermonna les deux compères qui se chamaillaient.
- "mais on peut pas laisser Grisfrêne ici tout seul, Edgar. On va nous l'piquer et on s'retrouvera encore une fois sans Homme Arbre ! Autant arrêter de jouer tout de suite" - répliqua Tholot (dit l'Ancien).
- "non mais t'as vu not' équipe ?! de toute façon on a pas d'quoi jouer. Une dizaine des nôtres et un vieil arbre toxicomane, ça fait pas une team ça !" - piailla Edgar, l'halfling grassouillet, ce qui provoqua une nouvelle crise de rire auprès des clients de l'auberge (tous bien amochés il faut le dire) - "faut drafter un coach et des nouvelles têtes, st'ou !".
- "Bah ! Qui voudrait jouer avec nous, sérieux ? T'as vu nos "splendides" matchs ? T'inquiètes pas que nos résultats ont vite fait l'tour dans l'landerneau..." - un autre coéquipier dont le crâne était littéralement recouvert de pansements, s'immisça dans la conversation - "on f'rait bien de rentrer chez nous, là bas, on était des stars, des stars royales, le Real Mootland !"
Soudain, l'atmosphère ambiante s'obscurcit quand une grande ombre cacha les rayons du soleil aux quelques halflings réunis sur la terrasse. - "Ha, l'Real Mootland, quel drôle de nom pour des tocards pareils. C'est vous les rois d'votre bled ? Ba j'aimerais pas voir vos sujets" - l'auteur de ces mots était un humain d'âge moyen aux cheveux coupés court, qui était resté assis à quelques tables de là, impassible et crispé, en écoutant la conversation des joueurs. Il n'avait pas esquissé le moindre sourire alors que l'auberge entière riait des mésaventures des petits hommes. Il se moquait maintenant visiblement de Tholot et de ses coéquipiers.
- "Hey, t'es qui toi, qu'es-ce tu nous veux toi ?" - répliqua sèchement l'Ancien - "fous nous la paix grand-pas, sinon on réveille Grisfrêne qui va s'occuper de toi !"
- "Tholot arrêt', regarde bien l'sigle que l'mec porte sur son blouson ! » - intervint Afka qui, s'il ne savait pas jouer au Blood Bowl mieux qu'une vache alcoolique, avait de très bons yeux et reconnut rapidement l'emblème de la célèbre Lutèce Cup agrafé sur la manche droite du veston de l'humain.
- "hein, quoi ? Alors comme ça tu s'rais un coach de Blood Bowl toi ? Qu'est tu fous ici dans c'rade pour paumés ? T'as rien d'aut' à foutre que d'picoler ici ? pas d'équipe à entraîner, au hasard ?" - rétorqua le capitaine halfeling avec suspicion envers cet humain étrange.
- "le hasard" - le prétendu coach eut un sourire sarcastique tout en fixant le petit homme droit dans les yeux - "le hasard fait parfois bien les choses. D'équipe j'en avais une oui, et bonne. Mais elle s'est, comme qui dirait, décomposée... Par contre m'est d'avis qu'il vous manque justement un entraineur, les rase-mottes".
- "ah oué, et c'est quoi qui t'fait dire ça toi ?" - répliqua Edgar, quelque peu interloqué.
Le visage de l'humain changea immédiatement. Ses traits devinrent durs et son regard s'assombrit. D'une voix tonnante et pleine d'autorité il aboya soudain - "c'est qu'vous êtes ici à vous torcher la gueule alors que vous devriez être en train d'vous entrainer pour la n'velle saison, bande de pochtrons courts sur pattes ! C'est ça une équipe ? C'est plutôt un cirque de clowns ambulant oui ! Et ça s'prend pour des joueurs de Blood Bowl ?! Ca veut jouer contre des grands alors que ça ne sait même pas comment mettre une patte d'vant l'aut' ! J'vais vous montrer moi, ce que veut dire jouer au Blood Bowl, bande de mi-portions ! J'vais vous sortir vos tripes de vos gros bides, mais j'vais vous apprendre moi ! ».
La terreur qu'on pouvait lire sur les visages de l'équipe halfeling après la tirade de l'humain se répercuta sur tous les clients de l'auberge. Un silence lourd tomba. La rigolade était finie. Quelques badauds s'esquivaient silencieusement par la porte de devant, craignant que l'atmosphère ne dégénère rapidement.
Ce fut Tholot qui reprit ses esprits le premier, comme toujours - "calme toi l'grand s'il te plait. On t'a rien fait. Alors comme ça tu veux nous entrainer, nous ? Le Real Mootland ? Et pourquoi qu'on accepterait, d'abord ?"
Le rictus qui se dessina alors sur le visage de l'humain était presque diabolique. Il rit de toutes ses forces puis déclara - "Parce que de toute façon personne d'autre ne voudra vous entrainer bande de minables. Parce que j'aime les défis. Parce que vous n'avez plus un sou dans vot' poche et il s'avère que je possède un petit pactole gagné auprès de mon ancienne équipe. Et surtout parce que j'connais un Homme d'Arbre qui se joindrait bien à vous... »
Les halfeings regardaient maintenant le grand humain bouche-bée. "Un deuxième Homme Arbre..." - murmuraient les uns aux autres ' "ce serait un rêve..." ; quelques joueurs lançaient des "un vrai coach celui-là..."
L'Ancien jetait des coups d'oeil à droite et à gauche, scrutant les visages de ses camarades. Tous hochaient de la tête avec approbation. "Tope là" - il dit à l'humain avec résignation - "On accepte. Quelles sont tes conditions ?"
- "une seule" - répliqua le coach - "quand j'vous regarde, minables comme vous êtes, le Real Mootland ne me va pas comme nom. Ce serait plutôt le... voyons voir... ah j'ai trouvé ! Le Real Boitar, oué, ça, ça vous irait bien ! Le Real Boitar ! Héhé." - il sourit, visiblement amusé et content de sa trouvaille.
Après quelques secondes de réflexion l'Ancien répondit - "d'accord ! Va pour le changement d'nom. De toute façon, au point où on en est, on a plus rien à perdre, hein les gars ?!" - lança-t-il à destination de ses camarades. "Le Real Boitar, c'est pas glorieux mais on f'ra avec. On a l'nom qu'on mérite, comme on dit. On a pas l'choix de toute manière. Dis-nous juste, comment faut t'appeler, l'étranger ?"
Le rictus dément de l'homme revint sur ses lèvres - "Duda, vous pouvez m'appeler coach Duda, bande de rase-mottes"...